La Plate-forme de Libye : la réunion de Paris une étape importante mais sans grande nouveauté

In Pays arabes, Programme de plaidoyer international by CIHRS

La Plate-forme de Libye : malgré l’importance de cette étape, la réunion de Paris s’est heurtée à différents échecs concernant l’élaboration d’un plan de réforme du secteur de la sécurité et l’activation de mécanismes de dissuasion efficaces.

La Plate-forme de Libye se félicite de la rencontre du mardi 29 mai à Paris entre les parties belligérantes libyennes, les Nations Unies et les représentants de la communauté internationale. Toutefois, elle craint que cette dernière tentative de mise en œuvre de la paix se révèle une fois de plus vaine. La Plate-forme, une coalition de 15 organisations libyennes, doute que le Conseil présidentiel libyen, la Chambre des députés de la Libye et le commandant de l’Armée nationale libyenne (ANL) respectent leurs engagements pris lors de la réunion. Ils n’ont pas réussi à respecter ces engagements depuis 2014, et la réunion n’a pas produit des mécanismes de dissuasion ou de responsabilisation pour inciter les parties à changer de stratégie.

Dans ce contexte, la Plate-forme de Libye regrette le manque de volonté de la communauté internationale d’élaborer un plan transparent pour la réforme du secteur de la sécurité nationale et l’activation des mécanismes de lutte contre l’impunité, en particulier celui de la Cour pénale internationale (CPI), afin d’engager la responsabilité des parties si elles ne respectent pas leurs obligations. L’absence d’un tel plan ainsi que des mécanismes de lutte contre l’impunité réduit l’efficacité de la réunion. Plus particulièrement, cela aboutit à maintenir une paralysie continue des institutions exécutives et législatives, l’obstruction du processus de transition démocratique et l’incapacité de mener à bien les échéances constitutionnelle et électorale.[1]

La Plate-forme de Libye souligne aussi que malgré la présence de toutes les parties libyennes, de la  Mission d’appui des Nations unies en Libye (MANUL) et du représentant du Caire à la réunion de Paris, une opportunité importante a été manquée; à savoir la possibilité de formuler un plan complet – qui pourra prendre la forme d’un projet de loi – qui susciterait une stratégie nationale exhaustive et transparente de restructuration des ministères de la défense et de l’intérieur à court, moyen et long terme.

Au lieu de cela, la réunion s’est concentrée sur la continuation du travail basé sur la même formule en coopération avec la MANUL pour la réforme du secteur sécuritaire, ainsi que les négociations en cours au Caire, sur la réforme et l’unification du système sécuritaire, bien que ces formules aient échoué auparavant. En effet, la mission de l’ONU jusqu’ici n’a pas pris les mesures concrètes, qui garantissent que la priorité soit donnée à la formulation d’un plan national avec les autorités libyennes, dont le but serait d’aboutir à la restructuration et l’intégration des combattants. Les réunions du Caire n’ont pas non plus produit de résultats concrets jusqu’à présent pour atteindre cet objectif. Dans les faits, les réunions du Caire, se tiennent sans aucune transparence concernant les sujets négociés entre les commandants des groupes armés. D’autant plus ils n’ont abouti à aucun plan concret pour l’unification des forces armées, l’établissement et la garantie d’une intégration des individus de manière individuelle et d’une chaîne de commandement claire.

La Plate-forme de Libye réitère ses demandes concernant la nécessité de formuler dans l’immédiat un plan efficace et pratique pour restructurer l’appareil sécuritaire et regrouper toutes ses composantes dispersées, afin de promouvoir les mécanismes internationaux de lutte contre l’impunité. Un tel plan devra aussi autoriser le bureau local de la CPI à opérer en Libye. Si ces conditions ne sont pas satisfaites, la réunion de Paris sera condamnée au même sort que les tentatives précédentes de conclure des accords de paix en Libye, tels que l’accord politique libyen de 2015, le sommet de Paris de juillet 2017 et le plan de Ghassan Salamé de 2017.

La culture de l’impunité et le manque d’unification du secteur sécuritaire permettent depuis 2014 aux chefs de guerre à l’est, l’ouest et dans le sud de la Libye, de continuer à bloquer, la mise en œuvre des accords de réconciliation locale. Ce sont les raisons de l’échec de l’application de l’accord entre les communautés de Tawergha et de Misrata, et les entraves qui mettent à mal les tentatives de règlement pacifique du siège de Derna.

Les milices et les chefs de guerre ont également miné la réconciliation entre les tribus Tabou et Awlad  Suleiman, en enflammant une situation humanitaire déjà désastreuse. En l’absence d’un mécanisme de lutte contre l’impunité, il n’y aura pas de moyens efficaces pour dissuader ces groupes de bloquer la mise en œuvre des accords locaux et des accords de paix nationaux.

En effet, la poursuite du conflit entre les différents groupes armés empêche le respect des obligations de toutes les parties et paralyse les pouvoirs législatif et exécutif. Notamment en aggravant les difficultés de la Chambre des députés à remplir son mandat législatif de préparation des élections parlementaires et présidentielles ainsi que le référendum constitutionnel. Les conséquences de cette situation sont désastreuses à tous les niveaux. La vie quotidienne des Libyens est perturbée, non seulement à cause du climat de violence, mais aussi par la détérioration des services publics provoquée ou exacerbée par cette violence.

Le Conseil présidentiel et l’ANL, dont les dirigeants ont assisté à la réunion de mardi à Paris, sont en train d’intensifier la violence par le biais de leurs milices respectives. Les groupes armés continuent de mener des attaques arbitraires brutales contre les civils et les infrastructures. Ils commettent des violations qui pourraient constituer des crimes de guerre, [2] en toute impunité.  De plus, ils reçoivent des fonds importants du trésor public et ils opèrent en toute légitimité sous l’égide de l’appartenance formelle aux institutions sécuritaires de l’Etat. Ces groupes bénéficient aussi malheureusement de la coopération directe avec des Etats comme l’Italie [3], la Turquie, l’Égypte et les Émirats arabes unis [4], ce qui amplifie leur pouvoir et empèche l’uniformité entre eux au sein d’un secteur de sécurité nationale unique.

Ces groupes armés comptent parmi leurs rangs des groupes radicaux qui entretiennent des liens étroits avec Al-Qaida et le mouvement salafiste de Madkhali. Ces milices prétendent combattre le terrorisme tout en commettant les mêmes violations commises par les terroristes. L’ensemble des combattants ne prennent pas en compte la quatrième Convention de Genève et les principes fondamentaux du droit humanitaire dans le cadre d’un conflit armé, national ou international.

De plus, les principaux acteurs garants du processus de transition démocratique – tels que la société civile, le pouvoir judiciaire et les médias – sont constamment menacés. À cet égard, la Plate-forme libyenne met en garde contre la brutalité de ces milices envers les organisations de la société civile locale, les défenseurs des droits de l’Homme, les magistrats, les professionnels des médias, les civils et les travailleurs migrants. Ainsi, la propagation de la pratique de la détention arbitraire, la torture et les exécutions extrajudiciaires est fréquente et se produit dans un contexte d’incitation à la violence et de discours de haine. Egalement de nombreux groupes ont recours à la rhétorique religieuse comme prétexte pour sévir contre les militants et les défenseurs des droits dans tout le pays.

La Plate-forme de Libye estime que la réalisation de la transition démocratique, de la lutte contre le terrorisme et du respect de la réconciliation nationale sont totalement irréalisables et inaccessibles sans des institutions gouvernementales efficaces et capables de faire appliquer les quatre opérations politiques fondamentales; à savoir : adopter des mécanismes internationaux de justice, notamment par le biais de la CPI ; structurer et unifier le secteur de la sécurité ; conclure le référendum sur la constitution libyenne ; et organiser des élections parlementaires et présidentielles. Malheureusement, les progrès vers ces objectifs n’ont pas été réalisés lors de la récente réunion de Paris, et l’achèvement de la transition démocratique en Libye demeure encore dans un horizon lointain, tant que le terrain continue d’être déchiré par la guerre.


[1] Article de recherche du CIHRS : Paix et transition démocratique en Libye : Un rêve différé ou un éternel cauchemar ?

[2] The Libya Platform condemns violations amounting to war crimes committed at Tripoli’s Mitiga Airport and nearby residential areas.

[3] Italy, Going It Alone, Stalls the Flow of Migrants. But at What Cost?

[4] Selon les rapports de 2015, 2016 et 2017 du Comité d’experts du CSNU, créé par la résolution 1970/2011 du CSNU, des Etats comme l’Egypte, les EAU et la Turquie fournissent des armes à divers groupes libyens, malgré la résolution 1970, adoptée à l’unanimité le 26 février 2011. La résolution impose des sanctions à la Libye, y compris un embargo sur les armes et l’équipement militaire à destination et en provenance du pays.

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