Nous, associations et organisations signataires, appelons les autorités algériennes à libérer les détenus injustement emprisonnés pour avoir exprimé leurs opinions ou exercé pacifiquement leurs libertés, et à ouvrir l’espace civique aux acteurs.ices de la société civile afin de garantir l’exercice sans entrave de leurs missions dans le cheminement vers l’État de droit.
L’année 2024 marque la programmation d’une élection présidentielle anticipée en septembre en Algérie. Cinq ans après l’émergence du Hirak, mouvement pacifique exigeant l’État de droit et la démocratie, le pays a connu un rétrécissement sévère des droits et libertés fondamentales et l’adoption d’une révision de la Constitution (2020) et de lois liberticides qui ont consolidé l’autoritarisme, en contradiction avec les engagements internationaux de l’Algérie en matière de droits humains.
Une véritable chape de plomb pèse sur la société civile. Depuis 2019, les autorités n’ont eu de cesse de poursuivre et de condamner, souvent à des peines sévères, des citoyen.nes, dont des militant.es, journalistes et défenseur.es des droits humains, pour avoir exercé leurs droits fondamentaux, y compris pour des accusations infondées d’appartenance à des entités terroristes. Elles ont également multiplié les actions judiciaires arbitraires contre des organisations de la société civile, des partis politiques d’opposition, des syndicats et des médias indépendants.
Les autorités algériennes ont dissous deux organisations de défense des droits humains de plus de trente ans d’existence: le Rassemblement actions jeunesse (RAJ) en octobre 2021, confirmé par la décision du Conseil d’État de février 2023, et la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH) en juin 2022. Les locaux des médias Radio M et Maghreb Émergent, parmi les derniers porte-voix d’un journalisme indépendant, ont été mis sous scellés en décembre 2022, avant que la justice n’ordonne leur dissolution en avril 2023.
En mars 2024, l’organisation de deux conférences par SOS Disparus – CFDA, association de défense des droits des disparus, a été arbitrairement empêchée. Deux partis politiques agréés, le Parti socialiste des travailleurs (PST) et le Mouvement démocratique et social (MDS), ont été suspendus pour des durées indéterminées, respectivement en janvier 2022 et février 2023.
De plus, l’amendement du Code pénal en pleine pandémie et sans débat public a donné lieu à l’introduction de dispositions liberticides qui ont servi à condamner plusieurs citoyen.nes pacifiques. Ceci a été suivi par l’élargissement vague de l’accusation criminelle de « terrorisme » (article 87 bis), mobilisée régulièrement contre des voix pacifiques, et l’adoption des amendements au Code pénal en avril 2024.
À ce jour, plus de 200 personnes sont emprisonnées pour avoir exprimé leur opinion et exercé leurs droits fondamentaux. Parmi elles, des figures du Hirak telles que Brahim Laâlami et Mohamed Tadjadit, qui cumulent presque 60 mois d’incarcération depuis 2019, Mohad Gasmi détenu depuis juin 2020 et le journaliste Ihsane El Kadi, condamné à sept ans d’emprisonnement dont cinq ferme. Au-delà de ces cas, des personnes anonymes ou peu connues sont arbitrairement emprisonnées. Nombre d’entre elles sont en détention préventive depuis des mois. Ces détenus viennent s’ajouter à des cas anciens dont Mohamed Baba Nejar en est le plus emblématique.
Pour rendre visible leur détention arbitraire et exiger leur libération immédiate, des militant.es, des associations, des organisations de droits humains et des médias ont lancé sur les réseaux sociaux la campagne de mobilisation nationale أطلڤوهم# #Serḥet-asen (#LibérezLes) durant le mois de ramadan. La campagne rappelle que l’exercice des libertés n’est pas un crime.
En 2024, une élection présidentielle est prévue le 7 septembre et l’Algérie siège au sein du Conseil des droits de l’Homme ainsi qu’au Conseil de sécurité des Nations Unies. De plus, les autorités ont reçu les Rapporteurs spéciaux des Nations unies sur le droit à la liberté de réunion pacifique et d’association (Clément Nyaletsossi Voule) et sur la situation des défenseur.es des droits humains (Mary Lawlor) en 2023, des signes apparents d’ouverture et d’engagement.
Ce contexte général appelle à une ouverture des espaces de libertés pour la société civile et à l’application de mesures substantielles pour briser le climat de terreur qui sévit contre les voix critiques et les défenseur.es des droits humains. Plutôt que de les traiter comme une menace, les autorités algériennes devraient prendre des engagements urgents et concrets pour garantir leur intégrité et préserver l’espace nécessaire pour qu’ils et elles puissent jouer leur rôle constructif au sein de la société.
Dans leurs observations de fin de missions, les deux Rapporteurs spéciaux des Nations unies ont constaté des manquements majeurs en matière de respect des droits et libertés fondamentales. Mme Lawlor a affirmé que «l’acharnement judiciaire se poursuit par le biais de multiples poursuites pénales contre des défenseur.es des droits humains». M. Voule a estimé que «le gouvernement doit assouplir les restrictions strictes imposées aux rassemblements et aux associations […] et s’attaquer au climat de peur provoqué par une série d’inculpations pénales à l’encontre d’individus, d’associations, de syndicats et de partis politiques en vertu de lois excessivement restrictives».
Nous, signataires de ce texte, appelons les autorités algériennes à l’application des mesures suivantes:
- La libération immédiate et la réhabilitation pleine et entière des détenu.es injustement emprisonné.es pour avoir exercé leurs libertés d’opinion, d’association et de rassemblement pacifique;
- La levée des contraintes sécuritaires, juridiques et administratives qui empêchent l’exercice effectif des droits et libertés fondamentales de citoyen.nes pacifiques et des acteur.trices de la société civile ;
- L’abrogation des lois et articles du Code pénal liberticides et instrumentalisées à des fins répressives, et l’adoption de lois qui renforcent les libertés publiques et se conforment réellement aux conventions internationales ratifiées par l’Algérie ;
- L’ouverture des espaces de liberté pour les acteur.ices de la société civile et la garantie de l’exercice sans entrave de leurs missions constructives dans le cheminement vers l’État de droit.
SIGNATAIRES :
Organisations algériennes:
- IBTYKAR
- Comité de sauvegarde de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme dissoute (CS-LADDH)
- Libertés Algérie
- SHOAA for Human Rights
- PADA (Pour une alternative démocratique en Algérie)
- ACDA (Agir pour le changement et la démocratie en Algérie)
- Collectif des familles de disparu.e.s en Algérie – SOS Disparu.e.s (CFDA)
- Riposte Internationale
- Comité de soutien pour les droits humains en Algérie – Montréal
- Comité national pour la libération des détenus (CNLD)
- Collectif pour une Alternative Démocratique et Sociale en Algérie (CADSA-Marseille)
Organisations internationales et régionales:
- MENA Rights Group
- Institut du Caire pour les études des droits de l’homme (CIHRS)
- Avocats Sans Frontières en Tunisie
- ARTICLE 19
- AfricanDefenders (Pan-African Human Rights Defenders Network)
- EuroMed Droits
- FIDH (Fédération Internationale pour les Droits Humains), dans le cadre de l’Observatoire pour la Protection des Défenseurs des Droits Humains
- Organisation mondiale contre la torture (OMCT), dans le cadre de l’Observatoire pour la Protection des Défenseurs des Droits Humains
- Service International pour les Droits de l’Homme
- Front Line Defenders
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