REUTERS/Mohamed Abd El Ghany

10 ans après les Conclusions du Conseil, les États-membres de l’EU : doivent enfin cesser les transferts d’armes à l’Égypte et respecter leur obligation de redevabilité

In Déclarations et prises de position, Programme Egypte / feuilles de route by CIHRS

Nous, organisations signataires, dénonçons le rôle des armements fabriqués dans l’Union européenne, dans la répression interne et les violations des droits humains en Égypte, et appelons les institutions compétentes de l’UE à se joindre à notre demande envers tous les États-membres de l’UE, pour la transparence et l’arrêt des transferts d’armes vers l’Égypte, conformément au critère n° 2.2 de la Position commune 2008/944/PESC.

L’utilisation abusive d’armes par des acteurs étatiques, notamment pour commettre des violations des droits humains, est reconnue par les Nations unies comme une violation du droit international humanitaire et des droits humains. Au cours de la dernière décennie, l’utilisation abusive d’armes lourdes et légères par les forces de sécurité égyptiennes a régulièrement été documentée dans le contexte d’épisodes de répression interne, de brutalités policières, de torture et d’exécutions extrajudiciaires.

En 2013, au lendemain des massacres places Rabaa Al-Adawiya et Al-Nahda, le Conseil de l’Union européenne a publié des Conclusions sur la situation des droits humains en Égypte, dans lesquelles les États-membres ont décidé à l’unanimité de suspendre l’exportation vers l’Égypte de tout équipement susceptible d’être utilisé à des fins de répression interne.

La pertinence d’une telle disposition est justifiée par le fait que ces massacres du 14 août 2013 – au cours desquels plus d’un millier de manifestants non armés ont perdu la vie aux mains des forces de sécurité égyptiennes – ont été marqués par l’utilisation de véhicules blindés Sherpa fournis par la France, de CZ Scorpion Evo de fabrication tchèque, et de fusils italiens Beretta 70/90, par le personnel militaire égyptien et les forces de sécurité pour disperser les civils par la force.

Néanmoins, plusieurs États membres, dont l’Allemagne, la Bulgarie, Chypre, l’Espagne, la France, la Hongrie, l’Italie, les Pays-Bas, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie et l’Espagne, ont fait fi de cette suspension annoncée dans les Conclusions de 2013 et ont continué (ou rapidement recommencé) à expédier des équipements militaires à l’Égypte.

Un rapport publié par EgyptWide en 2023 – presque dix ans après les Conclusions du Conseil – présente des preuves cohérentes de l’utilisation d’armes légères et de petit calibre fabriquées en Italie et exportées vers l’Égypte, dans des violations des droits humains commises par des acteurs étatiques.

Le respect des principes de proportionnalité et de responsabilité dans l’usage de la force s’est progressivement effacé de la politique mise en œuvre en Égypte au cours des dernières décennies et sous la présidence d’al-Sissi. La généralisation de l’usage des armes à feu et des véhicules blindés de transport de troupes dans les opérations sur la voie publique et dans la gestion des manifestations, a été alimentée par la prolifération des armes.

La disponibilité croissante des systèmes d’armement (y compris les technologies de surveillance, militaires et à double usage) et leur utilisation non justifiée représentent une menace pour les droits à la vie, à la protection contre la torture, à la liberté de réunion et d’expression pour toutes les personnes vivant en Égypte, et compromettent la paix et la sécurité au niveau régional.

Les États membres de l’UE qui ont exporté des armes et des technologies de surveillance, y compris des technologies à double usage, vers l’Égypte ces dernières années ne doivent pas se soustraire à l’obligation de rendre compte de l’utilisation de ces matériels dans le cadre de violations des droits humains.

Les principes inscrits dans le Traité sur le Commerce des armes (2013) et la Position commune 2008/944/PESC de l’UE reconnaissent explicitement le lien entre la prolifération des armes et la détérioration de la paix, de la sécurité humaine et des droits humains. Ces deux cadres contiennent des dispositions visant à réglementer le commerce international et le transfert des armes, qui subordonnent ces activités à la responsabilité des États exportateurs de défendre et de protéger les droits humains et la paix au niveau international. Inversement, ils interdisent la fourniture de matériel militaire aux pays où il existe un risque que ce matériel soit utilisé à des fins de répression interne, de violation des droits humains ou d’infraction grave à la Convention de Genève de 1949.

La poursuite des ventes et transferts de systèmes d’armement par des États membres de l’UE à l’Égypte aggrave encore le recours à la force létale et disproportionnée contre les civils dans ce pays, ainsi que les arrestations arbitraires massives (avec l’incarcération de dizaines de milliers de voix critiques détenues arbitrairement entre 2013 et 2019), les exécutions extrajudiciaires, des centaines de disparitions forcées et l’usage systématique de la torture. Les armes fabriquées dans l’UE, notamment les armes légères et de petit calibre, les véhicules blindés, les gaz lacrymogènes, les matraques et les technologies de surveillance, ont été utilisées à maintes reprises pour commettre des violations des droits humains en Égypte, comme l’ont documenté les ONG EgyptWide, Egyptian Front for Human Rights et la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH). Human Rights Watch et Amnesty International ont également souligné leur préoccupation quant au risque que les armes exportées par les États membres de l’UE n’alimentent les violations des droits humains en Égypte.

A la lumière des preuves présentées et des dénonciations importantes faites par les organes compétents de l’UE et de l’ONU, le rôle des États-membres de l’UE en tant que fournisseurs de matériel pour la répression interne en Égypte est indéniable, et contredit l’engagement de l’UE à soutenir la démocratie et les droits humains dans ses relations extérieures. Cela oblige tous les États-membres et organes politiques de l’UE à prendre des mesures pour la protection des droits humains en Égypte par le biais de la réglementation des transferts et ventes d’armes internationaux conformément aux principes fondateurs de l’UE selon le Traité sur l’Union européenne (TUE).

Les organisations signataires appellent :

  1. Les États membres de l’UE à respecter leurs obligations nationales et internationales en matière de commerce des armes au titre de la Position commune 2008/944/PESC de l’UE et (le cas échéant) de leur législation nationale, en mettant fin à tous les transferts d’armes vers l’Égypte et en procédant à un examen approfondi des mécanismes de transparence en vigueur pour garantir la redevabilité dans le suivi des transferts d’armes ;
  2. Les parlements nationaux des États membres de l’UE qui ont exporté des armes vers l’Égypte au cours des dix dernières années, à faire respecter les normes de transparence en créant des organes d’enquête ad hoc chargés d’examiner l’utilisation abusive de ces armes et leur éventuel emploi dans le cadre de violations des droits humains en Égypte. Nous demandons également la création (ou le renforcement) des mécanismes de contrôle pour garantir la transparence dans la fourniture d’équipements militaires, de technologies de surveillance et de technologies à double usage à des pays tiers ;
  3. Le Parlement européen à créer une commission d’enquête ad hoc en vertu de l’article 226 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) pour enquêter sur les éventuels défauts de mise en œuvre ou infractions à la Position commune 2008/944/PESC par les États-membres qui ont exporté des systèmes d’armement vers l’Égypte depuis l’adoption de la Position commune ;
  4. Le Conseil de l’UE, à adopter une décision et son règlement associé, mettant fin à la vente, au transfert ou à l’exportation d’armes et d’autres équipements des États-membres vers l’Égypte, susceptibles d’être utilisés à des fins de répression interne, compte tenu du risque concret qu’ils soient utilisés dans le cadre de violations des droits humains.

Signataires:

  1. ACAT-France
  2. Andalus institute for tolerance and anti violence studies
  3. ANKH Association
  4. Archivio Disarmo
  5. Asia Pacific Network of Environment Defenders
  6. Cairo Institute for Human Rights Studies (CIHRS)
  7. Citizens International
  8. CIVICUS – World Alliance for Citizen Participation
  9. Committee for Justice
  10. Democracy for the Arab World Now (DAWN)
  11. Egyptian Front for Human Rights (EFHR)
  12. Egyptian Human Rights Forum (EHRF)
  13. EgyptWide for Human Rights
  14. EuroMed Rights
  15. Fédération internationale pour les droits humains (FIDH)
  16. FFF GOMA
  17. FFF MAPA
  18. Fridays For Future Indonesia
  19. Fridays For Future Lebanon
  20. Fridays For Future SWANA
  21. Human Rights Watch (HRW)
  22. HuMENA for Human Rights and Civic Engagement
  23. International Network of Liberal Women
  24. International Service for Human Rights (ISHR)
  25. MENA Rights Group
  26. National Lawyers’ Guild-San Francisco Bay Area chapter
  27. New hope for poor
  28. Osservatorio permanente sulle armi leggere (OPAL)
  29. Progressives for Climate
  30. Project on Middle East Democracy (POMED)
  31. Refugees platform in Egypt (RPE)
  32. Réseau Ouest Africain des Défenseurs des Droits Humains
  33. Sierra Leone School Green Club
  34. StationToStation2Agosto
  35. Stop Wapenhandel
  36. Women’s International League for Peace and Freedom (WILPF)

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