Si l’Europe ne parvient pas à tirer les leçons d’échec de la politique étrangère américaine des 14 années qui nous séparent des attentats du 11 septembre, elle risque de le payer cher. De ces stratégies, sont nées les conditions ayant permis aux mouvements extrémistes de grandir et de gagner en puissance. Cela n’est pas seulement dû à la proximité géographique entre le vieux continent, et les zones de conflits, terrains propices au développement du terrorisme, mais aussi aux responsabilités qu’il porte dans la création et la perpétuation des principaux facteurs à l’origine de son émergence, de son enracinement et de son expansion.
La cruauté et l’atrocité des attaques terroristes qui ont pris pour cible la capitale française – haut lieu historique de sagesse et de Culture – et ayant fait plus de 500 victimes, ne doit pourtant pas faire perdre sa raison à Paris. La France ne doit en aucun cas revenir sur sa position de refus vis-à-vis de la voie prise par les Etats-Unis de répondre par « la guerre » pour venger le sang des innocents. L’histoire récente a montré les conséquences tragiques auxquelles ont mené les erreurs de Washington et démontre la pertinence de la position défendue par la France à l’époque. La naissance de Daech en elle-même est le fruit de la décision prise par le précédent Président américain d’entrer en guerre et d’envahir l’Iraq.
La seule façon de rendre justice aux victimes françaises et à celles qui, sont tombées et tombent encore chaque jour à travers le monde, est de consentir à l’effort nécessaire pour la mise en place de stratégies qui permettent d’à la fois mesurer et corriger les erreurs qui continuent à être commises et d’assurer les conditions menant à la fin du terrorisme plutôt qu’à son expansion et à son enracinement sur le sol européen.
Dans cette perspective, il incombe à la France de faire le bilan des politiques et des pratiques ayant contribué à renforcer l’extrémisme et mené au recrutement de citoyens français musulmans par des organisations terroristes. Et pour cause, la France est aujourd’hui – en dehors des pays arabes – le pays qui exporte le plus de combattants étrangers en Syrie.
La France doit également mettre sur pied des politiques d’intégration et de démarginalisation de sa population musulmane, sans pour autant renoncer à ses valeurs de laïcité ni à son combat contre l’extrémisme religieux. Bien entendu, cela ne suffira pas à neutraliser Daech dans son ensemble, mais cela contribuerait néanmoins à empêcher la création d’une première filiale de l’EI en Europe.
La violence inhumaine et la cruauté barbare de Daech sont la conséquence naturelle des rapports entretenus durant plusieurs décennies entre des millions de victimes d’origines ethniques et religieuses variées, avec la brutalité des régimes de Saddam Hussein et Assad, père et fils, de Nuri al-Maliki et d’autres gouvernements arabes. Daech est le fruit de l’interaction entre le discours séculier, fasciste et répressif tenu par ces gouvernements et leurs alliés, et le discours Wahhabite, takfiri que diffusent chaque joue les institutions officielles d’États arabes qui prétendent combattre le terrorisme. Voilà le fruit de décennies d’oppression systématique pratiquée par nombre d’États arabes qui n’ont pas hésité à utiliser toute forme de répression individuelle et collective à disposition, des armes chimiques aux barils d’explosifs contre les populations civiles, du viol d’hommes et de femmes à la torture de prisonniers, parfois même pour le compte du gouvernement américain. Toutes ces souffrances ont été commises grâce à la complicité d’une communauté internationale et de puissances opportunistes choisissant de rester silencieuses face à ces exactions et préférant miser sur les profits immédiats que leur apportaient Saddam Hussein, Assad et autres Khadafi, Zine el-Abidine ou Moubarak notamment à travers leur implication dans des guerres par procuration contre l’Iran ou la Palestine ; la sous-traitance d’actes de torture voués à exonérer la CIA ; ou la vente à prix forts d’armes aux régimes autoritaires qui les utiliseront contre leurs propres populations. Voici les choix qui ont prévalu, au détriment d’une stratégie sur le long terme visant à aider cette partie sinistrée du monde à accéder à l’autonomie, la prospérité et la stabilité. Les millions de réfugiés qui se bousculent aux portes de l’Europe, les embarcations de candidats à l’immigration qui échouent sur les plages européennes et les attaques terroristes qui frappent ses capitales, sont aussi les résultats d’une politique européenne déplorable, construite sur le court terme et qui se poursuit depuis la fin de l’époque coloniale.
La plupart des pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine sont passés par une époque coloniale aussi brutale que celle vécue par le Monde Arabe. Bien que la période coloniale ait pris fin partout dans le monde, elle se poursuit en Palestine. Le droit humanitaire international et les droits de l’homme sont nés pour être enterrés en Palestine et dans d’autres pays Arabes. Des cendres de ces cadres juridiques, naissent des lois injustes et inhumaines au Moyen Orient et en Afrique du Nord que des gouvernements arabes passés et présents, Israël, al-Qaeda et aujourd’hui Daech s’efforcent de faire appliquer. Il est du devoir de la communauté internationale d’appliquer les mêmes standards en matière de respect du droit international envers l’ensemble de ses membres sans distinction, sinon ce système draconien continuera à prévaloir quelles que soient les mesures sécuritaires et les stratégies militaires déployées.
Assurer la sécurité des individus, des communautés et des peuples représente une nécessité absolue, permanente et globale. Réduire cet impératif aux seules dimensions sécuritaire et militaire débouchera cependant sur des conséquences aussi désastreuses que celles dont a accouché la stratégie américaine du 11 septembre : la prolifération de davantage de terrorisme et de barbarie. La non-application du droit international humanitaire et des droits de l’homme au profit de lois répressives au Moyen Orient et en Afrique du Nord, la perpétuation des crises politiques et économiques de nombreux Etats du Moyen-Orient, de la corruption endémique, de l’ignorance, de la haine et de l’extrémisme religieux ont et sont amenés à avoir des répercussions qui ne peuvent être endiguées aux frontières de cette région.
En réponse à la crise des réfugiés syriens, la chancelière allemande Angela Merkel a adopté une position audacieuse mais isolée et dépourvue de vision stratégique. L’Europe n’est pas tenue « d’accueillir » tous les peuples de la région. Il est de son devoir cependant d’imaginer une stratégie globale qui s’adresse aux origines communes de la crise des réfugiés, de la montée du terrorisme et des échecs politiques et économiques tout en préservant les acquis des valeurs et principes fondamentaux européens. Ce n’est qu’à travers une stratégie de cette ampleur que l’Europe parviendra à empêcher que le Monde Arabe ne se transforme en une région qui expulse ses peuples et devienne source exportatrice d’extrémismes politiques et religieux et de terrorisme.
Enfin, L’ONU doit revoir de fond en comble son mode opératoire afin que ses décisions et celles de ses instances en charge des droits de l’Homme soient appliquées à tous les États sans exception et qu’elle recouvre ainsi son statut d’autorité morale au niveau international. La progression du terrorisme et le développement accru de politiques répressives dans le Monde Arabe reflètent la déliquescence du rôle moral de l’ONU dans cette région et dans le monde.
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