Le 11 novembre, le tribunal de Khenchela (dans l’est de l’Algérie) examinera l’appel du militant Yacine Mebarki à la suite de sa condamnation le 8 octobre à dix ans d’emprisonnement et une amende de 10 millions de dinars (environ 65 450 euros) – la plus lourde peine jamais prononcée à l’encontre d’un militant en raison d’opinions exprimées sur Internet.
Les autorités algériennes doivent libérer Yacine Mebarki et abandonner les poursuites sans fondement liées à ses publications en ligne et d’autres accusations découlant simplement de l’exercice de sa liberté d’expression et de conscience, ont déclaré les signataires de la présente déclaration. Elles doivent mettre un terme aux enquêtes et procédures pénales visant des personnes qui ne font qu’exprimer pacifiquement leurs opinions, y compris des points de vue critiques à l’égard des enseignements religieux ou des représentants de l’Etat.
Yacine Mebarki, agriculteur à Khenchela, est connu pour sa participation au mouvement de contestation populaire du Hirak, qui réclame un changement politique radical en Algérie, et pour son engagement dans la défense des droits des Amazighs.
Des policiers de Khenchela ont arrêté Yacine Mebarki le 30 septembre, après une perquisition à son domicile au cours de laquelle ils ont trouvé un vieil exemplaire du Coran ayant appartenu à son grand-père, dont une page était arrachée, ainsi que deux balles vides. Selon l’avocat du militant ainsi qu’une source proche de la famille, les balles sont les restes de célébrations traditionnelles donnant lieu à des tirs festifs, pratique courante dans la région, et elles sont désormais utilisées à des fins décoratives.
Le parquet du tribunal de première instance de Khenchela a engagé les poursuites contre Yacine Mebarki sur la base de propos publiés sur les réseaux sociaux, notamment une publication Facebook du 17 février dans laquelle il semble critiquer le mufti salafiste égyptien Abou-Ishak El Houweini, l’accusant d’avoir appelé[1] à mener le « djihad » contre plusieurs pays en prenant « leur argent, leurs enfants et leurs femmes », ainsi que pour le Coran déchiré et les balles trouvées chez lui. Durant le procès, le juge a aussi mentionné une publication Facebook datant du 12 Septembre dans laquelle Mebarki a apparemment raillé le ministre de la justice Belkacem Zeghmati.
Yacine Mebarki a été condamné le 8 octobre à dix ans de prison pour « offense aux préceptes de l’islam » (article 144bis-2 du Code pénal), « profanation du Livre Sacré » (article 160), « incitation à la discrimination » (article 295bis), « incitation d’un musulman à se convertir à une autre religion » et « diffusion de documents visant à ébranler la foi d’un musulman » (article 11-1 et -2 de l’ordonnance 06-03 fixant les conditions et règles d’exercice des cultes autres que musulmans). Il a en outre été condamné pour « détention de matériel de guerre sans autorisation » (article 31 de l’ordonnance 97-06 relative aux matériels de guerre, armes et munitions) en raison des deux balles saisies à son domicile.
Les charges susmentionnées relèvent de la liberté d’expression et de conscience du militant et sont contraires à la Constitution algérienne (article 42) et au droit international relatif aux droits humains, notamment l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), que l’Algérie a ratifié. Dans une interprétation du PIDCP faisant autorité publiée en 2011, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a souligné : « Les interdictions des manifestations de manque de respect à l’égard d’une religion ou d’un autre système de croyance, y compris les lois sur le blasphème, sont incompatibles avec le Pacte ». En octobre 2017, des experts de l’ONU ont également demandé aux États « qui disposent encore de lois sur le blasphème de les abroger car elles étouffent l’exercice de la liberté de religion ou de conviction et empêchent un dialogue et un débat sains autour de la religion ».
Cette situation est particulièrement préoccupante car, au cours des derniers mois, dans le contexte de la pandémie de COVID-19, les autorités ont accéléré les poursuites arbitraires à l’encontre de militants pacifiques exprimant leur opinion et de journalistes. Au 9 novembre, le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), une organisation algérienne qui observe notamment les procès du Hirak, dénombrait 87 prisonniers d’opinion en Algérie.
Signataires
- Amnesty International
- Article 19
- CGATA (Confédération générale autonome des travailleurs en Algérie)
- CIVICUS
- Institut du Caire pour les études des droits de l’homme (CIHRS)
- Ligue Algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH)
- SNAPAP (Syndicat national autonome des personnels de l’administration publique)
[1] Abou-Ishak El Houweini a nié par la suite avoir fait cette déclaration.
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