Mettre fin au soutien inconditionnel au gouvernement égyptien
(Paris, le 2 décembre 2020) – Le président français Emmanuel Macron devrait faire pression sur le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi pour que ce dernier agisse sur le front des violations des droits humains avant sa prochaine visite à Paris, notamment pour qu’il libère les activistes et défenseurs des droits humains détenus arbitrairement, ont déclaré aujourd’hui 17 organisations de défense des droits humains.
Le président al-Sissi doit arriver à Paris le 7 décembre 2020 pour une visite de deux jours, trois semaines seulement après que les agences de sécurité de son gouvernement ont réprimé l’Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR), l’une des dernières organisations indépendantes de défense des droits humains dans le pays, en arrêtant trois de ses directeurs. Ces arrestations ont apparemment eu lieu en représailles directes à une réunion entre l’EIPR et des diplomates étrangers, dont la mission française au Caire, début novembre. L’Égypte détient aussi arbitrairement Ramy Shaath, un défenseur des droits égypto-palestinien réputé, marié à une Française, depuis plus d’un an sans procès.
La diplomatie française, au plus haut niveau, fait depuis longtemps preuve d’indulgence pour la répression brutale du président al-Sissi contre toute forme de dissidence. C’est maintenant ou jamais que le Président Macron doit tenir son engagement affiché en faveur des droits humains en Égypte.
Si l’Egypte ne libère pas les activistes et défenseurs détenus arbitrairement avant cette visite, et si ceux qui les emprisonnent injustement sont récompensés par des ventes d’armes et des éloges, les conséquences pour ce qui reste de la communauté des droits humains en Egypte seront dévastatrices et l’engagement du président Macron envers les droits fondamentaux en Egypte sera discrédité, ont déclaré les organisations.
Entre le 15 et le 19 novembre, les forces de sécurité égyptiennes ont arrêté le directeur exécutif de l’EIPR, Gasser Abdel-Razek, ainsi que Mohamed Basheer et Karim Ennarah, respectivement directeur administratif et responsable du programme Justice pénale de l’ONG. Les procureurs ont ordonné leur détention préventive sur la base d’accusations abusives liées au terrorisme, ne résultant que de leur travail en faveur des droits humains.
Ces dernières arrestations marquent une nouvelle escalade dans la campagne des autorités égyptiennes pour éradiquer le mouvement des droits humains en Égypte, allant du gel des avoirs et des interdictions de voyager aux disparitions forcées et à la torture, en passant par les détentions arbitraires prolongées dans des conditions atroces, dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme s’est alarmé de cette situation, plaçant les dernières arrestations dans « un schéma plus large d’intimidation des organisations de défense des droits humains et d’utilisation de la législation antiterroriste et de sécurité nationale pour faire taire la dissidence », conduisant à « un effet paralysant profond sur une société civile égyptienne déjà affaiblie ». Le caractère de représailles de ces arrestations a été publiquement reconnu et dénoncé à travers l’Union européenne et aux États-Unis.
Recevoir le président al-Sissi en visite officielle sans soulever ces inquiétudes de manière adéquate, alors que de si nombreux activistes et défenseurs des droits restent détenus pour leur seul travail en faveur des droits fondamentaux, souvent sur la base d’accusations abusives de « terrorisme » et parfois même inscrits sur des « listes de terroristes », saboterait les efforts revendiqués de la France en faveur des droits humains dans le cadre de son partenariat avec l’Égypte. Cela saperait sa crédibilité dans de nombreux pays de la région, ont déclaré les organisations.
Le ministère français des Affaires étrangères a condamné les arrestations de l’EIPR dans une déclaration du 17 novembre, déclarant qu’il maintenait « un dialogue franc et exigeant avec l’Egypte sur les questions des droits de l’Homme ». Mais si les réponses de la France se limitent à une condamnation verbale et ne sont pas à la hauteur de la gravité de la situation en Egypte, de telles condamnations s’avéreront vaines. Les organisations de défense des droits humains documentent depuis des années les conséquences d’un tel manque d’action concrète sur l’ampleur et la gravité accrues des violations des droits en Égypte et sur la détermination des autorités à anéantir l’État de droit.
Accueillir à plusieurs reprises le président al-Sissi en France sans que l’Égypte ne libère les activistes et les défenseurs des droits, et alors même qu’elle en arrête davantage, mettrait en outre Emmanuel Macron en porte-à-faux avec un nombre significatif de voix au sein de son propre parti politique. Sur les 66 parlementaires français de tous bords qui ont récemment signé une lettre publique à l’échelle européenne appelant al-Sissi à libérer les prisonniers d’opinion, la majorité étaient issus du parti La République en Marche (LREM) ; nombre d’entre eux siègent aux commissions de la Défense et des Affaires étrangères.
Un récent rapport parlementaire français sur les exportations d’armes de la France souligne également les préjudices en matière d’image et le coût politique croissants auxquels la France s’expose à travers la poursuite de ses ventes d’armements et de technologies de surveillance à l’Égypte, reconnaissant le bilan désastreux de cette dernière en matière de droits et les informations crédibles quant à l’utilisation d’armes françaises dans la répression violente de manifestations et la commission de crimes dans le cadre des opérations antiterroristes au Sinaï -dont des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées et des arrestations arbitraires.
La France a vendu quantités d’armes à l’Égypte, devançant les États-Unis pour devenir le principal fournisseur d’armes du pays entre 2013 et 2017. Pour la seule année 2017, elle a livré pour plus de 1,4 milliard d’euros d’équipements militaires et de sécurité. La France a fourni des navires de guerre, des avions de chasse et des véhicules blindés, et des entreprises françaises ont fourni -avec l’accord du gouvernement- des technologies de surveillance et de contrôle des foules, dans l’opacité et sans contrôle suffisant sur l’utilisation finale de ces équipements fournis à l’armée et la police impliquées dans de graves violations.
Avec cette visite, la France a l’occasion et le devoir de prendre une position publique forte en accord avec les principes affirmés par le président Macron lors de sa visite au Caire en janvier 2019 et d’indiquer au président égyptien que le niveau de coopération entre les deux pays ne peut être maintenu dans un contexte de mépris complet du droit international par les autorités égyptiennes, notamment l’offensive sans précédent contre l’une des organisations phare de défense des droits humains en Egypte et les principes qu’elle représente.
Le président Macron a longtemps justifié son soutien au gouvernement du président al-Sissi en disant que celui-ci est un partenaire dans la lutte régionale contre le terrorisme. Mais l’Égypte a clairement montré qu’elle se sert abusivement de la législation antiterroriste pour éradiquer le travail légitime en faveur des droits humains et supprimer toute opposition pacifique.
Organisations signataires :
- ACAT-France
- Amnesty International
- ANKH (Arab Network for Knowledge about Human Rights)
- Institut du Caire pour les Etudes des Droits de l’Homme (CIHRS)
- Forum Egyptien pour les Droits de l’Homme (FEDH)
- EuroMed Droits
- Front Line Defenders
- The Freedom Initiative
- Initiative franco-égyptienne pour les Droits et les Libertés (IFEDL)
- Ligue des Droits de l’Homme (LDH)
- MENA Rights Group
- Human Rights Watch (HRW)
- Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH)
- Project on Middle East Democracy (POMED)
- Reprieve
- Saferworld
- Organisation mondiale contre la torture (OMCT)
Photo: Le président français Emmanuel Macron accueille le président égyptien Abdel-Fattah el-Sissi à Biarritz, Francois Mori- Pool / REUTERS
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