Le 11 novembre 2022, le bilan en matière de droits humains a été examiné lors de son quatrième examen périodique universel (EPU) devant le Conseil des droits de l’homme des Nations unies (CDH). Lors de la 52ème session du Conseil en mars 2023, la délégation algérienne a indiqué avoir accepté 215 des 290 recommandations qui lui ont été présentées (dont la délégation considère que 55 ont déjà été mises en œuvre), en avoir accepté partiellement 4 et avoir pris note de 70.
Nous, les organisations soussignées, sommes préoccupées par le fait que le gouvernement algérien s’est abstenu d’accepter les recommandations visant à renforcer les droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association. De nombreuses recommandations n’ayant pas été acceptées par l’Algérie portaient sur la question des détentions arbitraires dans le pays, dont beaucoup sont effectuées sous couvert de la lutte contre le terrorisme.
Liberté d’expression
Bien que l’Algérie ait accepté d’harmoniser sa législation relative aux droits humains avec la Constitution et les obligations internationales du pays, les autorités ont affirmé que l’exercice de la liberté d’expression, de réunion et d’association était déjà protégé par la Constitution.
Cependant, l’Algérie n’a pas accepté de modifier les dispositions du Code pénal qui restreignent la liberté d’expression et sont contraires à l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP).
Bien que le Code de l’information de 2012 ait dépénalisé les délits de presse, le Code pénal prévoit toujours des peines d’emprisonnement pour des actes relevant de la liberté d’expression. Par conséquent, les accusations d’ « offense », d’« insulte » ou de « diffamation » à l’égard de fonctionnaires et d’institutions publiques continuent d’être utilisées pour poursuivre des personnes qui se montrent critiques vis-à-vis des autorités. La délégation a très clairement indiqué qu’elle n’avait pas l’intention de dépénaliser la diffamation. Un autre exemple de pénalisation de la liberté d’expression est l’utilisation par l’Algérie de dispositions vagues et trop larges contre les critiques pacifiques, telles que « l’atteinte à l’unité nationale » et « l’atteinte à l’intérêt national ».
Liberté de réunion pacifique et d’association
Plusieurs États ont exhorté l’Algérie à modifier sa législation sur les réunions et les manifestations publiques afin de garantir le droit à la liberté de réunion pacifique et d’association.
Bien que l’Algérie affirme que cette recommandation a déjà été mise en œuvre, nous rappelons que les autorités se sont toujours appuyées sur des accusations d’« attroupement non armé » pour arrêter et détenir des manifestant-e-s pacifiques. La Loi relative aux réunions et manifestations publiques, actuellement en vigueur, contient un certain nombre de dispositions extrêmement restrictives et prévoit toujours un régime d’autorisation qui viole à la fois la Constitution et les normes internationales.
En ce qui concerne la liberté d’association, l’Algérie a précisé que la « Constitution garantit le droit de créer des associations par simple déclaration », ajoutant que « les conditions et les modalités de création des associations seront déterminées par la future loi sur les associations ».
Alors que le projet de loi mentionné par la délégation algérienne vise à créer un régime déclaratif pour la création d’associations, le texte contient un certain nombre de restrictions excessives, formulées en termes trop vagues tels que le « respect des constantes et des principes nationaux ».
En pratique, l’espace alloué à la société civile en Algérie s’est considérablement réduit ces dernières années. Au début de l’année 2023, le Conseil d’État a dissous le Rassemblement Action Jeunesse (RAJ). La même année, SOS Beb El Oued a été fermée par les autorités après 21 ans d’activité, et son président Nacer Meghnine a été emprisonné pour son activisme.
Au cours de la période précédant l’EPU en 2022, les autorités algériennes ont suspendu et dissous de nombreux partis politiques et organisations de la société civile, dont la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH). Cette décision ne peut plus être contestée devant les tribunaux car ses membres l’ont apprise des mois plus tard, par le biais des réseaux sociaux, en janvier 2023.
Détentions arbitraire
En ce qui concerne les recommandations visant à examiner le traitement des personnes en détention, la pratique des arrestations arbitraires et l’impunité généralisée, l’Algérie a soutenu que « nul ne peut être arrêté s’il n’existe pas de preuves de son implication dans un crime ou un délit puni d’une peine privative de liberté ». La délégation a également affirmé que les droits des personnes en garde à vue sont garantis par la loi.
En septembre 2021, environ 1 000 personnes avaient été poursuivies pour avoir participé au mouvement du Hirak ou pour avoir publié des messages critiques à l’égard du gouvernement sur les réseaux sociaux. Au moins 32 personnes ont alors été détenues pour avoir exercé légitimement leurs droits humains, et certaines d’entre elles ont été condamnées à de lourdes peines, tandis que d’autres étaient encore en détention provisoire. Plusieurs journalistes sont actuellement détenus, notamment Ihsane El Kadi et Mustapha Bendjama, pour ne citer qu’eux.
Torture
Nous nous félicitons du fait que la délégation algérienne ait soutenu les recommandations relatives à la prévention de la torture. Par exemple, l’Algérie a accepté la recommandation concernant la mise en œuvre effective de la Convention contre la torture (UNCAT), y compris les programmes de formation pour les responsables de l’application de la loi et pour le système judiciaire. Plus important encore, l’Algérie a accepté de redéfinir le crime de torture dans le cadre législatif national en conformité avec la définition de l’UNCAT.
Depuis le début du mouvement de protestation en 2019, plusieurs cas de torture ont été signalés, notamment à l’encontre du militant Sami Dernouni et du manifestant Walid Nekiche. En 2021, un mineur a également affirmé avoir subi des abus sexuels dans un commissariat d’Alger, suscitant un débat sur le traitement des personnes en détention. Les personnes qui ont rapporté les allégations du mineur ont quant à elles été arrêtées. Lorsque des allégations de torture et de mauvais traitements sont portées devant les tribunaux, elles ne sont généralement pas prise en compte.
Droits humains et lutte antiterroriste
En juin 2021, le Code pénal algérien a été modifié en élargissant la définition du terrorisme et en établissant une liste nationale de personnes et d’entités terroristes, dans un contexte où les accusations de terrorisme sont de plus en plus utilisées pour poursuivre des dissidents pacifiques et des défenseurs des droits humains.
À cet égard, les États-Unis ont recommandé à l’Algérie d’abroger sa définition excessivement large et vague du terrorisme, telle qu’elle est formulée dans l’article 87bis du Code pénal. De même, l’Espagne et le Mexique ont exhorté le gouvernement algérien à mettre l’article 87bis en conformité avec les normes internationales en matière de droits humains. L’Algérie a répondu qu’elle avait déjà mis en œuvre ces recommandations, affirmant que l’article 87bis du Code pénal était conforme à plusieurs résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU.
Nous sommes extrêmement préoccupés par le fait que cette recommandation ait été simplement notée par la délégation alors qu’une recommandation similaire avait été acceptée lors du précédent cycle de l’EPU de l’Algérie. Nous sommes fermement convaincus que les autorités doivent cesser d’utiliser les accusations de terrorisme pour réprimer la dissidence pacifique.
Indépendance du pouvoir judiciaire
Le système judiciaire algérien continue de souffrir de l’ingérence de l’exécutif. En 2018, le Comité des droits de l’homme des Nations unies s’était dit préoccupé par le fait que « l’exécutif joue un rôle important dans l’organisation du pouvoir judiciaire ». Bien que la délégation algérienne ait accepté plusieurs recommandations visant à renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire, l’Algérie a maintenu qu’elle avait déjà mis en œuvre des mesures pour garantir cette indépendance. Elle a cité en exemple l’indépendance constitutionnelle du pouvoir judiciaire ainsi que la révision de la loi sur le Conseil supérieur de la magistrature.
Il convient de rappeler que des juges indépendants ont fait l’objet de procédures disciplinaires et que plusieurs avocats ont été poursuivis pour avoir défendu leurs clients ou exercé leur droit à la liberté d’expression.
Conclusion et demandes
A la lumière de ce qui précède, nous, organisations soussignées, demandons aux autorités algériennes de mettre en œuvre les recommandations reçues lors du dernier EPU, en particulier celles relatives à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association, à l’interdiction de la torture, à la lutte contre le terrorisme et à l’indépendance de la justice. En outre, nous demandons instamment à l’Algérie de reconsidérer sa position sur les recommandations qui ont été simplement notées.
* Alors que le Conseil des droits de l’Homme a adopté les résultats de l’Examen périodique universel de l’Algérie le 27 mars 2023, les signataires susmentionnés ont organisé un événement en ligne pour discuter de la situation actuelle des droits de humains en Algérie. L’enregistrement du webinaire est disponible ici.
Organisations signataires*:
- Cairo Institute For Human Rights Studies
- EuroMed Droits
- MENA Rights Group
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