Plus de 30 organisations de la société civile (OSC) font part de leurs préoccupations et adressent leurs recommandations à l’Union européenne et à ses États membres avant la réunion du Conseil « Justice et affaires intérieures » d’aujourd’hui et de demain sur la dimension extérieure des migrations et le pacte européen sur la migration et l’asile.
Les 2 et 3 juin 2023, EuroMed Droits a rassemblé plus de 30 OSC de toute la région euro-méditerranéenne travaillant sur la migration et l’asile lors d’un séminaire de deux jours et d’une série d’ateliers sur le droit au sauvetage en Méditerranée et sur la criminalisation accrue et les représailles contre les OSC et les personnes en mouvement en Europe et dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA).
Depuis de nombreuses années, les OSC et les personnes migrantes et réfugiées elles-mêmes sont témoins d’une escalade féroce des attaques contre elles et leur travail, avec des lois, des politiques et des pratiques qui portent atteinte à leurs droits, y compris avec des peines sévères et la privation de liberté. Les ONG de recherche et de sauvetage (SAR) en Italie, en Grèce, à Malte et en Méditerranée centrale ont été criminalisées et empêchées de sauver des vies en mer, comblant ainsi le vide laissé par les États qui ne respectent pas leurs obligations et responsabilités internationales.
Il est vraiment nécessaire de changer complètement les politiques actuelles de migration et d’asile et de mettre en œuvre des politiques de migration et d’asile véritablement fondées sur les droits humains. Il est temps d’augmenter structurellement les voies légales et sûres de protection, en augmentant le nombre de visas, de réinstallations et de couloirs humanitaires, en élargissant les critères et en simplifiant les procédures de regroupement familial, ainsi qu’en respectant le droit à la liberté de circulation et en ne l’entravant pas par tous les moyens possibles, en contenant les migrations et en procédant à des refoulements illégaux. Il est important de mettre en place une opération de recherche et de sauvetage à l’échelle de l’UE afin de réduire le nombre de décès et de disparitions en mer.
Criminalisation de la recherche et du sauvetage et répression des ONG
Par exemple, dans son plan d’action sur la Méditerranée centrale présenté en novembre 2022, la Commission européenne conseille d’accroître le rôle de Frontex dans les activités SAR en Méditerranée centrale (point 15), malgré le rôle tristement célèbre de Frontex dans la facilitation des interceptions et des refoulements vers la Libye par les soi-disant garde-côtes libyens à l’aide d’aéronefs et de drones. La Commission européenne a également suggéré de demander à l’Organisation maritime internationale (OMI) de publier des lignes directrices pour les navires de recherche et de sauvetage en Méditerranée centrale (point 17), au risque de criminaliser davantage les navires des ONG de recherche et de sauvetage. Dans un document plus récent intitulé « Draft Roadmap towards a ‘European Framework for Operational Cooperation on Search and Rescue in the Mediterranean Sea« , divulgué par StateWatch, la Commission européenne vise à « normaliser/converger les règles d’enregistrement et de certification des navires privés dont l’activité principale est la recherche et le sauvetage ». Cela pourrait être utilisé pour entraver les actions des organisations de recherche et de sauvetage.
Exemples de l’Italie, de la Grèce et de Chypre
« Le dernier décret présenté par l’actuel ministre italien de l’Intérieur Piantedosi n’est que le dernier d’une longue série d’interventions juridiques et administratives criminalisant le travail des ONG de recherche et de sauvetage », a déclaré Gaia Pietravalle d’ARCI. En Italie, la criminalisation a commencé avec la fermeture de l’opération Mare Nostum en 2014, suivie d’une campagne de diffamation contre les acteurs de la recherche et du sauvetage accusés d’agir comme des passeurs et de constituer un facteur d’attraction pour les migrant.e.s et les réfugié.e.s qui traversent la Méditerranée. Le décret Piantedosi est une synthèse de toutes les approches précédentes qui avaient été promues par ses prédécesseurs Salvini et Lamorgese. Il vise à renforcer le pouvoir du ministère de l’intérieur, à imposer des codes de conduite spécifiques aux ONG, à les menacer de mécanismes de sanction exagérés et à entraver de facto les opérations de recherche et de sauvetage en interdisant aux ONG d’effectuer plus d’un sauvetage à la fois.
Depuis 2020, la Grèce a été témoin d’une augmentation fulgurante du nombre de refoulements et d’ONG criminalisées. « Nous avons eu plusieurs cas de campagnes de diffamation et de récits publics diffamatoires promus par les médias et des représentants gouvernementaux de haut niveau qui ont dépeint ceux qui dénoncent les refoulements comme des traîtres nationaux, des partisans de la Turquie, des passeurs et des facilitateurs d’entrée irrégulière », a déclaré Spyros Vlad Oikonomou du Conseil grec pour les réfugiés (GCR).
Chypre a été témoin d’une escalade d’agressions contre les ONG qui agissent en solidarité et en soutien aux migrant.e.s depuis 2019. Par exemple, « KISA a été accusée d’être affiliée aux Frères musulmans et de collaborer avec la Turquie. KISA est maintenant désenregistrée et est ainsi considérée par les autorités comme une organisation sans statut légal actif dans le pays. Cela signifie, par exemple, que nous n’avons plus de base légale pour demander des financements », a déclaré Doros Polykarpou de KISA.
Politiques meurtrières de non-assistance en mer
Des exemples de non-assistance en mer de la part des Etats se produisent tous les jours en Méditerranée. Le fait que personne n’intervienne est une atteinte au droit à la vie, et au droit maritime, qui oblige tout Etat ou tout navire, à secourir toute personne en détresse quel que soit son statut juridique et à la conduire dans un port sûr.
« L’année dernière, plus de 20 000 personnes en détresse ont été ignorées par les autorités maltaises. La non-assistance en mer implique à la fois l’absence d’opérations SAR et l’obstruction active au sauvetage par les autorités maltaises par différents moyens, tels que le découragement du sauvetage par des navires commerciaux, le refus de s’engager avec les acteurs SAR, et la criminalisation des acteurs SAR à Malte. Enfin, Malte coopère activement avec les garde-côtes libyens pour faciliter les refoulements vers la Libye », a déclaré Ċetta Mainwaring de l’université d’Édimbourg.
Les politiques d’externalisation entraînent de nouvelles pertes de vies humaines.
L’Union européenne et ses États membres renforcent de plus en plus les capacités de la Tunisie, de l’Égypte et de la Libye, « afin de mettre en place des actions ciblées conjointes pour prévenir les départs irréguliers », comme l’indique le point 3 du plan d’action de l’UE pour la Méditerranée centrale, malgré les nombreuses violations des droits humains commises dans ces pays à l’encontre des migrant.e.s, des demandeurs.ses d’asile et des réfugié.e.s.
« Le soutien apporté par l’UE à des régimes autoritaires en échange de leur aide pour freiner les flux migratoires augmente les risques et les dangers auxquels sont confrontés les migrant.e.s et les personnes en déplacement. Aujourd’hui, l’UE finance et coopère activement avec des pays qui violent les droits humains », a déclaré Sara Prestianni d’EuroMed Droits.
Selon Khadija Ainani, de l’Association marocaine des droits de l’Homme (AMDH), « le Maroc était autrefois un pays d’accueil pour de nombreux.ses migrant.e.s. Aujourd’hui, il est devenu un pays de transit vers l’Europe, attirant de nombreux fonds de l’UE pour bloquer les départs. Cela a créé une situation dans laquelle le Maroc ne contrôle pas seulement les frontières de l’UE, mais adopte également des politiques répressives sur son territoire, avec une augmentation des arrestations arbitraires de personnes en déplacement. L’externalisation du contrôle des frontières et le transfert du « fardeau » de l’accueil à des pays comme le Maroc renforcent le statut précaire des migrant.e.s et le risque de décès en mer. »
Au lieu de se concentrer sur l’endiguement des migrations et la prévention des départs en renforçant les contrôles aux frontières et les capacités de pays tels que la Tunisie, l’Égypte et la Libye, l’UE et ses États membres devraient s’efforcer d’éviter de nouvelles pertes de vies humaines en mer en ouvrant des voies d’accès légales et sûres vers l’Europe.
Par exemple, au cours des six premiers mois de 2023, il y a eu au moins 1 030 décès de migrant.e.s documentés en Méditerranée centrale. Selon l’OIM, le premier trimestre 2023 a été le plus meurtrier depuis 2017.
Helena Maleno de Ca-minando Fronteras : « Aujourd’hui, nous sommes témoins de la présence de régimes frontaliers qui ne permettent pas la recherche de la justice et de la responsabilité pour les pertes et les morts quotidiennes à nos frontières. Il s’agit d’une pratique de « nécropolitique », d’un régime fondé sur la mort active et sur le fait de laisser mourir les personnes en déplacement. »
Criminalisation et discours de haine contre les migrant.e.s, les demandeurs.ses d’asile et les réfugié.e.s dans les régions du Maghreb et du Machrek
Ces derniers mois, dans toute la région, on a assisté à une augmentation des discours de haine, du racisme, de la discrimination et de la violence à l’encontre des migrant.e.s, des demandeurs.ses d’asile et des réfugié.e.s, de la Turquie au Liban, de la Tunisie à l’Algérie.
En Turquie, par exemple, la migration est devenue un sujet central de la politique turque et a été utilisée comme outil de propagande par les autorités au cours de la récente campagne électorale. Pendant la période électorale, la désinformation a alimenté la perception négative du public à l’égard des réfugié.e.s en utilisant de fausses allégations les accusant d’être des criminels ou des membres d’organisations terroristes, etc. La crise socio-économique joue un rôle clé dans l’augmentation des discours de haine à l’encontre des réfugié.e.s syrien.ne.s en Turquie, ainsi qu’au Liban. Ici, le gouvernement a de plus en plus ciblé les réfugié.e.s comme boucs émissaires pour la crise socio-économique, a augmenté la rhétorique dangereuse anti-réfugiés et a commencé à mettre en œuvre des expulsions de réfugié.e.s syrien.ne.s vers la Syrie.
Dans la région du Maghreb, la situation s’est également détériorée, avec la récente dérive autoritaire en Tunisie et la vague croissante de racisme, de discrimination et d’incitation à la haine à l’encontre des migrant.e.s d’Afrique subsaharienne, qui a entraîné des violences et des attaques meurtrières. L’Algérie suit la même voie, avec des expulsions massives et des refoulements à la frontière avec le Niger, souvent fondés sur le profilage racial, bien que l’Algérie soit signataire de 8 des 9 conventions internationales sur les droits humains, y compris la Convention des Nations unies sur les réfugiés de 1951.
Dans ce contexte, les politiques de l’UE et des États membres en matière de migration et d’asile jouent un rôle très important et ont une grande responsabilité dans les violations des droits humains commises à l’encontre des migrant.e.s, des demandeurs.ses d’asile et des réfugié.e.s.
Le pacte européen sur la migration et l’asile : toujours dangereux et inhumain
Au cours de la réunion du Conseil d’aujourd’hui, les États membres de l’UE tenteront de parvenir à un accord sur certains des principaux dossiers législatifs du pacte de l’UE, en particulier sur le règlement relatif à la gestion de l’asile et de la migration (RAMM) et le règlement relatif à la procédure d’asile (APR).
Comme nous le dénonçons depuis sa présentation, le Pacte européen vise à réduire les droits humains fondamentaux et les garanties pour les demandeurs.ses d’asile, les migrant.e.s et les réfugié.e.s dans l’UE, et à augmenter le risque de refoulements aux frontières, ainsi que la détention.
L’un des points les plus préoccupants de l’APR, par exemple, est qu’il augmente le recours aux procédures frontalières et à la détention aux frontières, y compris pour les enfants à partir de l’âge de 12 ans. En outre, les procédures de retour pourront être mises en œuvre avant l’introduction d’un recours, de sorte que la procédure de recours ne sera pas suspensive. Le RAMM ne modifie pas vraiment les règles de Dublin, il n’y a pas de mécanismes de relocalisation obligatoires, et les options d’externalisation – telles que l’augmentation des capacités de contrôle des frontières des pays tiers – seront possibles en tant que formes de contributions volontaires de « solidarité ».
Il est vraiment nécessaire de changer complètement les politiques actuelles de migration et d’asile et de mettre en œuvre des politiques de migration et d’asile véritablement fondées sur les droits humains. Il est temps d’augmenter structurellement les voies légales et sûres de protection, en augmentant les visas, la réinstallation, les couloirs humanitaires, en élargissant les critères et en simplifiant les procédures de regroupement familial, ainsi qu’en respectant le droit à la liberté de circulation et en ne l’entravant pas par tous les moyens possibles, en contenant les migrations et en procédant à des refoulements illégaux. Il est important de mettre en place une opération de recherche et de sauvetage à l’échelle de l’UE afin de réduire le nombre de décès et de disparitions en mer.
Signataires:
- Association tunisienne des femmes démocratiques (ATFD)
- Association récréative et culturelle italienne (ARCI)
- Institut du Caire pour l’étude des droits de l’homme (CIHRS)
- Centre d’aide juridique – Voice in Bulgaria (CLA)
- Centre d’études sur la paix en Croatie (CMS)
- CNCD 11.11.11 – Centre national de coopération au développement
- Comisión Española de Ayuda al Refugiado (CEAR)
- Centre d’études des droits de l’homme de Damas (CEDH)
- EuroMed Droits
- Conseil grec pour les réfugiés (GCR)
- Association des droits de l’homme en Turquie (IHD)
- KISA – Action pour l’égalité, le soutien, l’antiracisme
- Ligue Algérienne pour la Défense des Droits Humains (LADDH)
- Ligue des Droits de l’Homme (LDH)
- Ligue tunisienne des droits humains (LTDH)
- Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression (SCM)
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